SOCIETE

Départs massifs des Gabonais : quand le malaise national pousse à l’exil silencieux

LIBREVILLE, 23 juin 2025 – Gabonactu24 |Depuis quelques années, une lame de fond traverse la société gabonaise. De manière constante, presque silencieuse, de plus en plus de citoyens quittent le pays. Étudiants, fonctionnaires, professionnels du privé, militaires en service : tous cèdent à une tentation autrefois marginale, désormais largement partagée celle de partir, et de ne plus revenir.

Cette fuite, devenue structurelle, est le révélateur d’un malaise profond. Elle interroge non seulement la capacité du pays à retenir ses forces vives, mais surtout l’efficacité de ses politiques publiques à répondre aux attentes légitimes d’un peuple en quête de dignité.

Une jeunesse qui ne croit plus au mérite

Le premier indicateur de cette rupture est visible dans les universités et lycées du pays. De plus en plus de jeunes Gabonais orientent dès le départ leur parcours vers l’étranger. Non pas par curiosité intellectuelle, mais par désillusion nationale.

« J’ai étudié cinq ans au Gabon, sans aucun débouché. Aujourd’hui, je suis en master au Canada. Je n’ai aucune intention de revenir dans un pays qui ne me donne aucune chance », témoigne Jennifer M., ancienne étudiante de l’UOB.

À cette perte de foi dans le système éducatif s’ajoute le sentiment d’une injustice sociale persistante. Les recrutements sont perçus comme opaque, politisés, clientélistes, et fondés non sur les compétences mais sur les appartenances.


Même l’administration fuit son propre navire

Ce qui frappe dans la vague actuelle de départs, c’est la diversification des profils. Fonctionnaires, enseignants, agents publics, magistrats, policiers, gendarmes, et même militaires en poste choisissent désormais de quitter leur fonction pour reconstruire leur vie ailleurs.

« Ce n’est pas un désengagement, c’est un acte de survie. On ne vit plus de son travail au Gabon, on survit », confie un ancien cadre du ministère de l’Économie installé en France depuis 2023.

Ce constat met en lumière une réalité dérangeante : l’État gabonais peine à fidéliser ses propres agents, y compris dans les secteurs régaliens. À défaut de réformes structurelles, le service public se vide discrètement de ses compétences.


Éducation, santé, justice : les piliers fissurés du contrat social

Les départs massifs ne sont pas seulement économiques. Ils sont symboliques d’un effondrement progressif du lien entre l’État et les citoyens. Quand se soigner devient un parcours du combattant, quand éduquer ses enfants relève de l’exploit, quand obtenir justice semble réservé aux plus puissants, l’idée même de nation devient fragile.

Les hôpitaux publics peinent à fonctionner normalement. L’école publique est marquée par des grèves récurrentes, un encadrement affaibli et une qualité d’enseignement inégale. La justice, quant à elle, souffre d’un manque d’indépendance perçu et d’un accès limité pour les plus modestes.

En conséquence, les classes moyennes s’exilent, les élites médicales et universitaires s’expatrient, et les jeunes s’organisent pour partir dès la fin du secondaire.


Un pays riche, une population appauvrie

Le paradoxe gabonais persiste : un pays doté de ressources exceptionnelles, mais dont la majorité des citoyens ne perçoit pas les fruits. Le pétrole, le bois, le manganèse profitent à une élite étroite, pendant que le coût de la vie explose pour le reste de la population.

« L’ascenseur social est en panne, et le train du développement part sans nous », déplore un enseignant de lycée à Libreville.

Face à cette situation, les discours politiques sur la “jeunesse au cœur de la République” ou sur la “relance de l’économie” peinent à convaincre. Les réalités du terrain contredisent les promesses institutionnelles.


Le départ comme ultime vote de défiance

Partir du Gabon, pour beaucoup, n’est plus un choix mais un verdict. C’est la conclusion personnelle d’une équation devenue insupportable : trop d’efforts pour trop peu de résultats. Dans ce contexte, l’exil n’est pas une trahison, mais un cri silencieux, un acte de rupture, une tentative de salut individuel.

Et lorsqu’un pays voit ses enfants partir les uns après les autres, la vraie question n’est pas : “Pourquoi partent-ils ?”
Mais bien : “Pourquoi restent-ils si peu ?”

Ce phénomène migratoire croissant doit être entendu comme un signal d’alarme, pas comme une fatalité. Il interroge la vision nationale, la stratégie de développement, la place du citoyen dans l’État.Redonner confiance, rétablir l’équité, garantir les droits, réhabiliter les institutions, créer de vraies opportunités locales : autant d’urgences à traiter si l’on veut éviter que l’exil ne devienne, pour les Gabonais, la seule promesse d’un avenir meilleur.

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