Suspension des bourses vers les pays occidentaux : une réforme brutale aux airs de repli stratégique ?

Libreville, 14 juillet 2025 – C’est une déclaration aussi surprenante que lourde de conséquences. Le Président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, a annoncé la suspension des bourses d’études vers les pays occidentaux coûteux – en tête desquels figurent le Canada, la France et les États-Unis dès l’année universitaire 2026. Justifiée par le coût élevé des formations et la « fuite des cerveaux », cette décision divise, tant dans son fond que dans sa forme.
Une décision unilatérale, sans concertation préalable
Si la volonté de rationaliser les dépenses publiques peut se comprendre dans un contexte de rigueur budgétaire, de nombreux étudiants, parents et universitaires dénoncent une mesure prise sans concertation, sans préavis clair, et sans étude d’impact connue. La brutalité de l’annonce interroge sur la méthode : pourquoi exclure d’emblée des destinations où des centaines d’étudiants gabonais sont déjà engagés dans des parcours d’excellence ?
« Ce n’est pas en fermant les portes qu’on règle le problème du retour au pays », estime une étudiante gabonaise en Master à Montréal. « Le vrai défi, c’est la capacité du pays à absorber et valoriser les compétences formées ailleurs. »
L’argument du “non-retour” : un aveu d’échec ?
Le Président Oligui Nguema justifie cette suspension par un constat récurrent : les étudiants qui partent dans les pays du Nord « ne reviennent jamais ». Mais cette fuite des cerveaux ne relève-t-elle pas d’abord de la qualité de l’environnement professionnel au Gabon, plus que de l’attractivité de l’étranger ?
En creux, la mesure semble traduire l’incapacité de l’État à créer des conditions favorables de retour : valorisation des diplômes, perspectives d’emploi, environnement administratif clair, incitations fiscales, etc. Plutôt que de résoudre les causes profondes de l’exode, le gouvernement s’attaque à ses symptômes.
Une fracture entre élites et étudiants ordinaires
La décision de bannir certaines destinations prestigieuses alimente aussi un ressentiment croissant chez de nombreux jeunes : pendant que l’élite politico-administrative continue de scolariser ses enfants dans les grandes universités occidentales, les étudiants ordinaires se voient privés d’ambition internationale.
« On nous demande de nous contenter du Sénégal ou du Maroc, pendant que les enfants des ministres sont en France ou à Londres », lance un lycéen de Libreville, en classe de terminale.
Vers un repli africano-centré à risque
Le discours officiel valorise un recentrage vers les pays africains « partenaires », comme le Ghana, le Maroc ou le Sénégal, où le coût des études est jugé plus accessible. Si cette orientation peut renforcer la coopération Sud-Sud, elle pose cependant la question de l’adéquation entre l’offre de formation disponible et les besoins réels de l’économie gabonaise.
La médecine, l’ingénierie de pointe, les sciences du numérique ou encore les recherches en intelligence artificielle sont-elles suffisamment développées dans ces pays partenaires pour former les cadres du Gabon de demain ? Rien n’est moins sûr.
Une réforme, oui mais mal posée
Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité d’optimiser les investissements publics dans l’éducation, ni de nier l’importance d’un retour au pays des diplômés. Mais la réforme aurait gagné en légitimité si elle avait été inclusive, progressive, et fondée sur des critères objectifs de performance.
Une vraie réforme des bourses aurait pu inclure :une évaluation transparente des pays d’accueil et de leur qualité académique ;des critères de retour obligatoire avec contreparties contractuelles ;un accompagnement renforcé pour les étudiants à l’étranger ;et une vraie politique nationale d’intégration des diplômés dans la fonction publique et le secteur privé.
un pari risqué pour l’avenir du capital humain gabonais
À l’heure où le Gabon cherche à se reconstruire, la formation de ses ressources humaines ne devrait pas être guidée par des considérations strictement budgétaires ou populistes, mais par une vision stratégique de long terme. En suspendant brutalement les bourses vers les pays occidentaux, le gouvernement court le risque d’appauvrir le potentiel académique du pays, de brider l’ambition de sa jeunesse, et de creuser les inégalités sociales dans l’accès à une formation d’excellence.
En définitive, le vrai défi n’est pas de fermer les portes aux étudiants, mais d’ouvrir des passerelles entre savoirs globaux et développement local.




