Édito :Qui a le droit d’être élu premier Président de la Cinquième République gabonaise ?

Par Thomas Starky MENDOME Doctorant à l’Université de Montpellier,Commissaire à l’Éthique de la Fédération des Étudiants Gabonais de France (FEGAF)Secrétaire Général de l’Association des Étudiants Juristes du Gabon (AEJG)
Le 12 avril 2025 sera une date cruciale pour le retour à l’ordre constitutionnel en République gabonaise. Ce jour-là, le peuple gabonais élira le premier Président de la Cinquième République, à l’issue d’un processus électoral encadré par la nouvelle Constitution adoptée le 19 décembre 2024. Cette Constitution, associée à la Charte de la Transition du 4 septembre 2023 et au Code électoral du 22 janvier 2025, définit des critères d’éligibilité particulièrement stricts et exigeants.
À travers une analyse approfondie de ces textes fondateurs, nous nous proposons d’éclaircir les conditions qui déterminent qui peut légitimement aspirer à présider aux destinées du Gabon.
1. Les Conditions d’État Civil : Entre Nationalité et Union Matrimoniale
La Constitution du 19 décembre 2024 impose des conditions strictes d’état civil pour être éligible à la présidence. Selon l’article 43, tout candidat doit :
Avoir entre 35 et 70 ans au moment du dépôt de candidature.
Être de nationalité gabonaise d’origine, justifiée par une filiation biologique avec un Gabonais de naissance.Cette disposition vise à renforcer la légitimité nationale du Président et à éviter toute controverse liée à la naturalisation.
Maîtriser au moins une langue autochtone et avoir résidé au Gabon de façon continue pendant au moins trois ans avant le scrutin.
De plus, l’aspirant à la magistrature suprême doit être marié légalement à un(e) Gabonais(e) de naissance. L’exigence matrimoniale, inscrite à l’article 43, a suscité des débats quant à son caractère discriminatoire, notamment envers les célibataires et ceux mariés à des étrangers naturalisés. Cependant, le législateur semble avoir voulu garantir une image d’attachement profond aux traditions et aux valeurs gabonaises.
2. Exigences Sanitaires et Financières : La Sélection par l’Argent et la Santé
L’article 43 de la Constitution exige également une parfaite santé physique et mentale du candidat, attestée par un certificat médical délivré par un collège médical assermenté. Cette disposition vise à garantir que le Président puisse pleinement assumer ses fonctions sans restrictions liées à son état de santé. Cependant, elle soulève des préoccupations quant à une possible discrimination envers les personnes handicapées.
Sur le plan financier, le candidat doit déposer une caution de 30 millions de francs CFA, un montant qui pourrait dissuader les candidats indépendants et favoriser les partis disposant d’importantes ressources. En outre, cette caution n’est remboursable que si le candidat obtient au moins 10 % des suffrages exprimés. Ce critère financier, bien qu’ayant pour objectif d’éviter les candidatures fantaisistes, pourrait également favoriser une présidence élitiste, éloignant davantage les citoyens ordinaires de la compétition électorale.
3. Viduité Politique et Interdictions de Compétir : Un Terrain Miné pour les Aspirants
La nouvelle Constitution exclut certaines catégories de citoyens de la compétition électorale, notamment :
Les membres du gouvernement de la Transition, les parlementaires transitoires et certaines hautes fonctions administratives.
Les personnes soumises à la viduité politique, c’est-à-dire les anciens membres de partis politiques ne pouvant se présenter qu’après un délai de quatre mois suivant leur démission.
Ces restrictions visent à garantir une transition pacifique et éviter toute instrumentalisation du pouvoir durant la période de transition. Toutefois, elles suscitent des interrogations sur l’équité du processus électoral et l’inclusion démocratique.
4. Un Président Consensuel ou Élitaire ?
Au-delà des aspects légaux, les conditions d’éligibilité traduisent une volonté manifeste de filtrer les candidats et d’éviter les crises de légitimité. Néanmoins, le caractère élitiste de certains critères pourrait aboutir à l’effet inverse : renforcer le sentiment d’exclusion chez une partie de la population.
La présidence sous la Cinquième République sera-t-elle consensuelle ou perçue comme réservée à une élite fortunée et bien née ? Les Gabonais devront répondre à cette question dans les urnes le 12 avril 2025.
Conclusion : Entre Droit et Légitimité, un Chemin Semé d’Embûches
L’éligibilité à la magistrature suprême sous la Cinquième République gabonaise met en lumière une tension entre la nécessité d’un État fort et l’exigence d’une démocratie inclusive.
Les conditions drastiques imposées par la nouvelle Constitution semblent vouloir garantir la stabilité et la crédibilité du futur Président.
Cependant, cette quête de légitimité par l’exclusion risque d’éroder la confiance des citoyens dans le processus démocratique. Le défi pour les Gabonais sera donc de trancher entre sécurité institutionnelle et inclusion politique