Drapeaux en berne pour le Pape : la République gabonaise oublie-t-elle qu’elle est laïque ?

Le Gabon mettra ses drapeaux en berne du 25 au 27 avril 2025 en hommage au Pape François, décédé le 20 avril dernier à l’âge de 88 ans. L’annonce faite par le porte-parole du gouvernement, Pr Davain Akoure, sur Gabon 1ère, a été accueillie avec émotion par une partie de la population, mais elle soulève aussi une question fondamentale : un État laïque peut-il rendre un hommage national à une figure exclusivement religieuse ?
Une décision aux allures de rupture symbolique
Le Gabon se définit comme une République laïque, où l’État est censé rester neutre vis-à-vis des croyances religieuses. Pourtant, la décision de mettre les drapeaux en berne généralement réservée aux deuils nationaux ou aux chefs d’États amis pour un chef religieux interpelle. Car même si le Pape François est aussi le souverain de la Cité du Vatican, c’est avant tout en tant que chef de l’Église catholique qu’il est reconnu par la majorité des Gabonais.
Ce choix pose alors une question de principe : la République peut-elle afficher publiquement son deuil pour une autorité spirituelle sans remettre en cause sa neutralité institutionnelle ?
Un précédent qui interroge l’égalité des cultes
Cette décision, qui semble inédite, pourrait être perçue comme une forme de reconnaissance implicite d’une religion majoritaire par les institutions. Si le gouvernement rend hommage à une figure catholique de manière aussi solennelle, les autres confessions protestante, musulmane, évangélique ou animiste sont-elles appelées à bénéficier d’un traitement équivalent en cas de décès d’une figure spirituelle importante ? Rien n’est moins sûr.
Il s’agit donc d’un précédent qui ouvre la voie à des revendications futures, au risque de créer une hiérarchie religieuse symbolique dans un pays qui se veut pourtant égalitaire et pluraliste.
Entre foi populaire et devoir d’État
Il ne s’agit pas de nier l’importance historique du Pape François ni son rôle dans la diplomatie internationale. Son action en faveur de la paix, du dialogue interreligieux et de la justice sociale a marqué son pontificat. Mais la République gabonaise doit-elle exprimer son respect par des gestes qui engagent tous ses citoyens, y compris ceux qui ne partagent pas la foi catholique ?
En démocratie, les émotions collectives aussi légitimes soient-elles ne doivent pas dicter les décisions des institutions. Le drapeau national n’est pas un symbole religieux, mais un emblème républicain. L’utiliser pour marquer un deuil spirituel revient à brouiller les frontières entre la foi et la loi, entre le religieux et le régalien.
Un appel à la cohérence républicaine
La mort du Pape François mérite d’être saluée. Mais l’hommage de la République devrait s’inscrire dans un cadre conforme à ses principes fondateurs. En mettant ses drapeaux en berne, le Gabon envoie un signal fort, mais ambivalent : celui d’un État ému, mais peut-être oublieux de ses propres engagements constitutionnels.
Dans une société multiculturelle et multiconfessionnelle, la laïcité n’est pas une option. Elle est une garantie pour tous. Et c’est à ce prix que l’unité nationale peut continuer de se construire, sans confusion entre les sphères de l’intime et du politique.